Pourquoi la musique nous affecte-t-elle tant?

Conférence de Thomas De Koninck

Dans le cadre du colloque De la musique avant toutes choses!

Organisée par la Faculté de philosophie, la Faculté de musique et la Fondation Largo pour les arts

Date et lieu

mardi 20 mars 2012, 15h30 à 18h30Théâtre de la Cité universitaire, Pavillon Palasis-Prince, Université Laval

L’emprise extraordinaire de la musique, tout au long de nos existences, serait-elle donc le fait d’une sorte de réminiscence des premières révélations du beau en nous grâce à la musique entendue tôt dans nos vies – aux premiers «enthousiasmes», pour parler comme Baudelaire?
Thomas De Koninck

Extrait(s)

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Quoi qu’il en soit, il est évident que l’art tout entier illumine la vie affective. Il n’a de cesse de lui donner sens et de porter au jour sa beauté latente. La musique accomplit cela cependant de manière toute particulière, en raison de son caractère existentiel, intime et immédiat. « Par une irruption massive la musique s’installe dans notre intimité et semble y élire domicile », écrivait Vladimir Jankélévitch, faisant écho à Platon : « Elle pénètre à l’intérieur de l’âme et s’empare d’elle de la façon la plus énergique » (République, 410 d). Pour Schopenhauer également, la musique exerce une action immédiate « sur les sentiments, les passions et les émotions de l’auditeur, qu’elle n’a pas de peine à exalter et à transformer (1) ».

[…]

On ne saurait pour autant passer sous silence la dimension intellectuelle de la musique, sa dimension architecturale si évidente chez un Jean-Sébastien Bach, par exemple, qui ressort en particulier de la saisie simultanée des contraires – un propre de l’intelligence – dans la consonance et le contrepoint. Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner qu’on ait pu établir  scientifiquement de nos jours que l’écoute de la musique au cours de leçons de mathématiques puisse améliorer « dramatiquement » les succès des enfants en cette matière, de 40% en moyenne, tout particulièrement pour l’apprentissage des fractions (2). Les fondements mathématiques de la musique fascinaient déjà les Pythagoriciens, qui ont découvert l’octave (harmonia, en grec, fait référence en premier lieu à l’octave), la quarte et la quinte, et donc la présence déterminante d’un ordre mathématique au sein même du monde sensible, qui nous cause, de surcroît, parmi les plus grands plaisirs. C’est parce qu’il y a en nous « quelque affinité (suggeneia) avec les harmonies et les rythmes », notait Aristote, que « beaucoup parmi les sages prétendent que l’âme est une harmonie, les autres qu’elle possède une harmonie (3) ». Les nombres correspondants contribuent à faire de la musique une « arithmétique secrète de l’âme qui ne sait pas qu’elle est en train de compter », dira Leibniz. Nous ne cessons, souvent inconsciemment, de mettre de l’ordre dans nos sentiments (en fredonnant des airs, par exemple). L’identité du moi à travers l’évanescence du son et du temps, est respectée et exprimée, assurée, par la mesure. Les intervalles du temps sont ainsi ramenés à un nombre concret et, par un retour constant, à une unité déterminée, à l’instar de la propre unité du moi au sein de l’incommensurable diversité de l’expérience. Les mouvements du corps qui s’ensuivent, notamment dans la danse et le ballet, rendent plus manifestes encore l’emprise de la musique sur toute notre personne.

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Le mot mousikê évoque le festival des Muses dans la mythologie grecque, signifiant à l’origine l’inspiration de tous les arts, tous conviés à la célébration, spécialement le chant poétique. Par tous les arts, mais d’abord par la musique, l’être humain chante l’acceptation amoureuse de la splendeur du monde, de la grâce du don de beauté. La fête, la jubilation, la supplication, l’indicible, l’amour trouvent en elle une expression qu’ils ne sauraient trouver ailleurs – cantare amantis est (Saint Augustin) : ce qu’on peut traduire par « l’amour se chante » ; ou, plus radicalement : « seul l’amant chante ».

Thomas De Koninck

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(1) Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’Ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. 7 ; Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Supplément au livre troisième, ch. XXXIX, trad. A. Bureau, revue et corrigée par Richard Roos, Paris, PUF, 1966, 1978, p. 1189.

(2) Voir http://www.telegraph.co.uk/education/9159802/Music-helps-children-learn-maths.html

(3) Aristote, Les Politiques, VIII, 5, 1040 b 17-19, trad. Pierre Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, 1990. Sur les nombres qui fondent la musique, voir saint Augustin, De Musica, livre VI.

Informations supplémentaires

Voir les informations et extraits du spectacle au Largo sur le site de la Faculté de philosophie de l’Université Laval.

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