Pourquoi la littérature?

Par Thomas De Koninck

Article publié dans Le Devoir
22 juillet 2013 [en ligne]

Mettez sous les yeux d’un analphabète une page écrite, il n’y verra que traces dépourvues de sens. Cependant que l’art de lire l’initiera au monde immense, tout intérieur, de la lecture. Un ordre prodigieux pourra se déployer en son imagination, son intelligence et son coeur, pour peu qu’il s’agisse d’un chef-d’oeuvre. George Steiner dit juste : le témoignage ultime est celui de l’enfant. «Priver un enfant de l’enchantement de l’histoire, de l’élan du poème, écrit ou oral, c’est comme l’enterrer vivant. C’est l’emmurer dans le vide.» – Thomas De Koninck –

Extraits

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Plus tard devra s’épanouir la capacité d’entretenir un débat intérieur, d’entraîner ainsi son intelligence et sa conscience. Faute d’un matériel riche et varié pour la stimuler et l’occuper, la subjectivité humaine ne peut se développer. Les facultés de l’esprit sont comme celles du corps : faute d’exercice, elles s’affaiblissent, pour finalement s’atrophier. Générer des prisonniers de l’immédiat, sous l’hégémonie du visuel qui nous envahit de toutes parts, ce serait les rendre vite dépassés, séniles à vingt ans et bientôt, faute d’exercice, sans mémoire. Éveiller au contraire leur imagination et leur coeur à des chefs-d’oeuvre artistiques, aux grandes découvertes scientifiques, les ouvre aux défis, aux idéaux, aux difficultés, à ce qui donne le goût et la passion de vivre.

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La littérature mondiale offre même des trésors d’une portée inestimable dont la vitalité est telle qu’ils ont dans certains cas survécu à l’usure des siècles, voire des millénaires. La nôtre ne manque pas de tels trésors. Mais il n’y a pas plus cruellement déshérité que quiconque a été tenu dans l’ignorance des trésors dont il a hérité en fait, ce qui peut l’amener à s’enlever la vie, se croyant à tort dans la misère. C’est à dessein que je parle de s’enlever la vie. Car quand donc saurons-nous prévenir le terrible drame de l’autodestruction chez nos jeunes ?

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La langue est instrument de pouvoir, et, donnée au peuple, remise aux mains des plus défavorisés, elle favorise cette fois la démocratie véritable. Cependant, la langue n’est pas plus réductible à des fonctions que ne l’est l’amour. Elle est cet « héritage que ne précède aucun testament » (René Char), marque et lieu de la liberté. Il s’agit de fournir «les armes de la distance et de la réflexion critique», d’arracher à la « philosophie spontanée » qui risque fort de n’être encore que du « politiquement correct », voire à la fuite dans la « valse méthodologique ». On ne saurait mieux dire.

Pourquoi ne pas faire confiance à l’intelligence et à la sensibilité de l’étudiante ou de l’étudiant en encourageant de toutes les façons possibles sa lecture personnelle, active des grandes oeuvres ? Les jeunes ont d’excellentes chances d’y reconnaître leur propre questionnement le plus profond, sous une forme sans doute mieux articulée au départ. Le succès fulgurant chez nous, en peu d’années déjà, du certificat sur les oeuvres marquantes de la culture occidentale n’a dès lors rien d’étonnant. Les immenses questions existentielles que ces oeuvres posent de façon concrète n’échappent pas aux jeunes. L’expérience démontre qu’ils en sortent stimulés, grandis sur le plan intellectuel et affectif, pour peu qu’on ait bien voulu leur accorder la chance et la liberté qui leur reviennent.

Thomas De Koninck

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