Pourquoi la philosophie?

Conférence de Thomas De Koninck

Dans le cadre de la Journée mondiale de la philosophie

Organisée par Caroline Gravel, Marc Laliberté et la Chaire La philosophie dans le monde actuel

Date et lieu

jeudi 15 novembre 2012, 15 h 45 à 17 h 15Salle 1334, Pavillon La Laurentienne, Université Laval, Québec

À quoi sert la philosophie? À ce compte, à quoi sert la musique? Ou, sur un autre registre, à quoi sert la santé? Toutes servent l’être humain. La différence est qu’elles le servent tout entier. Et dans le cas de la philosophie, c’est la vie proprement humaine en toutes ses dimensions qui est servie. - Thomas De Koninck -

Extrait(s)

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Chercher à savoir si l’on doit, ou non, faire de la philosophie, c’est déjà philosopher. On est vite obligé de constater en effet qu’argumenter contre la philosophie, c’est philosopher au sens le plus propre du terme, comme l’a fait observer très tôt Aristote. Car vous argumentez et vous prétendez dès lors à quelque vérité. Vous énoncez alors une opinion, après examen et considération, si sommairement que ce soit en certains cas, et vous prétendez à des vues plus justes, qui vous autorisent à déclarer les vues opposées fausses. Vous partagez dès lors avec votre opposant au moins un trait commun, le plus vital du reste, à savoir le recours à la vérité touchant vos propres énoncés et positions. Pourquoi argumenter, si la vérité ne compte pas ? Celle ou celui qui prétendrait que rien n’a d’importance, en tout cas pas de valeur morale ou de vérité, doit forcément se réclamer d’une instance qui le dépasse. « Rien n’est vrai », « tout est faux », « tout est relatif », sont autant d’affirmations absolues qui s’incluent elles-mêmes et s’autodétruisent. Nos visions, quelles qu’elles soient, présupposent un horizon au sein duquel la connaissance et l’action sont possibles. C’est cette recherche d’une visée plus juste, d’une prise de conscience plus claire du tout, que trahissent même nos contradictions (les combattants partagent forcément un but commun). On retrouve là sans doute le sens originel du dialogue et de la « dialectique » comme devant conduire à la sophia (« sagesse »).

Il s’ensuit que « dans tous les cas il faut philosopher » (Aristote) [1]. « Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher », ira jusqu’à dire Pascal [2].

Bref, on ne peut pas ne pas faire de la philosophie, si indigente soit-elle parfois. Mais à supposer qu’elle ne soit pas indigente, à quoi peut-elle servir au juste, spécialement dans le monde actuel? Telle est la question que je pose à présent. Nous verrons que la philosophie authentique est en réalité de plus en plus indispensable et que les tâches qu’elle est appelée à honorer sont immenses. […]

Thomas De Koninck

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[1] Voir Aristote, Protreptique, fragment 2, in Aristotelis Fragmenta Selecta, W. D. Ross, Oxford, 1964 ; je citerai aussi Aristotle’s Protrepticus : An Attempt at Reconstruction, by I. Düring, Acta Universitatis Gothoburgensis, 1961 (la lettre D renvoie à cette édition). Cf. Sophie Van der Meeren Exhortation à la philosophie. Le dossier grec. Aristote, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 93-99.

[2] Pensées, Brunschvicg, 4 ; Lafuma, 513.

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